L’après Covid-19 : Relancer notre économie à l’identique ou en profiter pour la transformer ?
Ilhem •
Interview de François-Xavier Marquis sur notre futur économique après la pandémie du Covid-19.
I. François-Xavier, pouvez-vous présenter votre parcours ?
Depuis quelques années je consacre mon temps à écrire et à faire des conférences sur l’importance de l’humain dans le développement de ce que l’on appelle la société numérique.
Si je ne suis pas informaticien depuis le début des années quatre-vingt je suis impliqué directement dans le développement des usages.
En 1994 j’ai été mandaté par les CCI pour accompagner les premiers développements : premières plateformes, premiers sites payants et en 1999 la création d’une des toutes premières autorités de signature électronique : chambersign.
Ensuite j’ai passé une quinzaine d’années à diriger divers établissements : CCI, Organisations Patronales, Organismes de formation et OPCA. À l’issu j’ai été mandaté, avec Stéphane Distinguin et Gilles Roussel, pour préfigurer la Grande École du Numérique, voulue par le Président Hollande. C’est à ce moment-là que j’ai pris conscience du détournement que certains avaient fait d’un superbe ensemble de technologies : le chef d’entreprise est alors devenu militant.
II. Qu’est-ce qui vous amène aujourd’hui à créer Covidisation.Fr ?
8 mars 2020 un désaccord de l’OPEP fait exploser la bulle financière générant une crise que les experts prédisent d’une très grande ampleur.
Mi-mars 2020 la pandémie Covid-19 envahit la planète confinant la moitié de la population mondiale chez soi et stoppant net une grande partie de l’économie mondiale.
C’est le moment où la finance saisit l’opportunité pour faire annoncer par les états des plans de relances colossaux qui feront oublier, au moins temporairement, leur défaillance.
Ainsi la planète s’apprête à donner quitus à un système qui a provoqué exactement 35 crises économiques et financières depuis 1971 et fait évaporer des dizaines de milliers de milliards cumulés.
Lancer l’initiative est un moyen d’appeler tous les entrepreneurs, les citoyens à réfléchir à un autre mode de société. Cela fait des années que l’on appelle cette transformation de nos vœux. La pandémie, arrivant sur une crise financière, va détruire beaucoup d’activité, d’entreprises, d’emplois presque exclusivement dans l’économie réelle. Mais elle nous donne une chance : la possibilité de proposer, de construire et de changer.
Covidisation.Fr est un appel, une porte ouverte : à vous de vous en emparer.
III. Vous appelez à une transformation profonde, pouvez-vous nous en dire plus ?
Pour bien poser les choses je suis d’abord un dirigeant, libéral et mon souhait est que chacun puisse le devenir ou le rester. Mais pour cela il faut changer profondément.
J’ai vécu l’emballement de l’économie de ces 40 dernières années : l’extrême vitesse, qui nous est imposée, les conditions d’exercices de plus en plus tendues, l’emballement des retours financiers, l’explosion des circuits longs… Et quand on y regarde bien pour aboutir à quoi ? Une économie « virtuelle » qui regroupe la quasi-totalité de la richesse au détriment de l’économie réelle, c’est-à-dire la vôtre, la mienne. D’un côté nous avons une infime partie de personnes, d’entreprises qui s’enrichissent à dizaine de milliards en quelques années alors que la pauvreté explose.
La transformation profonde est de revenir à la décence de l’économie, des profits.
Il faut accepter que la richesse commence sur les territoires, qu’elle est faite d’abord de PME qui vivent dans la réalité. Il faut admettre que la vitesse n’est que très rarement une qualité et souvent une précipitation. Redonner du sens au territoire, se réapproprier les circuits courts, réimplanter des outils de productions, développer les monnaies alternatives…
Tout cela est une transformation de fond et ce n’est pas de l’utopie.
« La pandémie en arrêtant notre planète vient de nous démontrer que tout notre système de production devenait inopérant, que nous n’avions aucune résistance, aucune réactivité, aucune résilience. »
Est cela que vous les jeunes entrepreneurs, voulez laisser à nos enfants ?
IV. Quel serait le pire risque à la sortie de la pandémie ? De recommencer comme avant ?
Le premier risque serait de ne pas comprendre que les crises font partie intégrante de notre modèle de société : éléments récurrents et très rapprochés.
De plus qu’elles soient sanitaires, financières, terroristes ou environnementales nous en sommes quasiment tout le temps les générateurs.
Le monde n’est pas en crise aujourd’hui : la crise est une composante majeure et permanente de notre monde.
Le grand enseignement de la pandémie est de nous montrer que nous y sommes totalement inadaptés.
Pour y remédier, les seuls outils que l’on nous propose sont des injections massives pour sauver un système qui défaille tous les deux ans… Les plans de relance n’auront qu’un effet réel : générer encore plus d’endettement…
Au final il faudra bien que quelqu’un paye. Il y a une grande naïveté (pour rester pudique) à dire que les impôts ne seront pas augmentés.
Relancer à l’identique, cela veut dire remettre les mêmes systèmes de gestion de nos entreprises : toutes les règles que la pandémie vient de montrer totalement inopérante devant une crise aiguë. Pour illustrer regardez simplement le problème des masques : pas de stocks, pas de production locale, pas de circuit court… Rien de ce qui permet à une société d’être réactive. Pourquoi ? Parce que dans le monde actuel ce n’est pas rentable.
Relancer à l’identique, ne bénéficiera qu’aux très riches et affaiblira les pauvres et les classes intermédiaires. Et comme les endettements seront plus grands, il faudra lancer des initiatives encore plus massives qu’en 2002 et en 2009, avec des effets qui seront au final encore plus violents.
Je ne suis pas naïf, le train est parti et on ne l’arrêtera pas immédiatement : mais si on se mobilise on peut l’orienter pour que progressivement on change nos manières de voir, que l’on revienne à des valeurs, humaines, sociales, territoriales.
C’est pour cela qu’il faut dire NON aujourd’hui.
V. Que peut faire chaque entrepreneur pour apporter sa pierre à la construction d’une société consciente de la “pandémie responsable” ?
La première chose à faire, et ce n’est pas contradictoire, est d’abord de sauver au maximum les entreprises, les emplois, les activités : c’est le premier rôle d’un chef d’entreprise et cela le reste, surtout dans les périodes dures.
Très vite, il va falloir tirer les enseignements sur ses propres modes de gestions, sur la valeur ajoutée de nos différents métiers, de pondérer les grilles de salaire en fonction de l’importance en temps de crise… Tout cela c’est ce qui vous attend à court terme.
La seconde c’est de faire un choix : dans quelle société ai-je envie de vivre ?
Certains préféreront conserver les modèles antérieurs, d’autres voudront les changer. Mais le rôle de l’entrepreneur est de choisir un chemin dans l’incertitude : vous devez avoir tous conscience que vous êtes devant un choix fondamental et que vous n’avez pas le droit de dire « je passe », quel que soit le chemin que vous prendrez.
Après avoir dit cela, la suite de mon, propos est militante : la pandémie, adossée à une crise financière nous a montré l’échec abyssal des choix de ma génération.
Il appartient à celle des 25/45 ans de porter la mutation. J’ai eu la chance de commencer ma carrière à une époque où on pouvait encore être fier de faire du business de façon décente. Cela est possible, mais cela va demander de déconstruire pour ensuite reconstruire au niveau local, au niveau régional, au niveau national, au niveau mondial.
Mon souhait, avec covidisation.fr, est d’essayer de mettre mon expérience à disposition pour vous donner des thèmes de réflexion. J’aurais 20 ans de moins, mon souhait serait que vous soyez nombreux à me suivre, aujourd’hui il est que vous soyez des milliers à aller beaucoup plus vite que moi.
Quel est le plus grand risque aujourd’hui ? Que les entrepreneurs responsables ne s’emparent pas de ce phénoménal enjeu. Parce que si ce n’est pas eux qui en prennent le lead, alors ce sera la rue : nous en avons vu les prémices pendant toute l’année 2019.
Si on veut pouvoir influer il faut que les décideurs à minima locaux, régionaux et nationaux entendent un cri puissant des jeunes entrepreneurs :
« Nous ne voulons plus ce cela ! Nous voulons construire un monde nouveau pour nos enfants. »
En bonus, voici des ressources pour t’aider en temps de crise :
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